Médecins et pharmacies font progresser ensemble la numérisation dans le système de santé
Une année riche en événements numériques s’achève dans le système de santé suisse. L’heure est venue de faire le point avec deux décideuses. Yvonne Gilli, présidente de la Fédération des médecins suisses FMH, et Martine Ruggli, présidente de la Société suisse des pharmaciens pharmaSuisse, ont façonné ensemble et avec leurs organisations un projet important en 2024: le service E-Ordonnance Suisse. Nous souhaitons savoir comment ces organisations contribuent à faire progresser la transformation numérique du secteur et regardons déjà vers 2025.
Madame Gilli et Madame Ruggli, dans les années à venir, le système de santé suisse devrait enfin franchir des étapes importantes en matière de numérisation, par exemple avec le programme fédéral Digisanté, mais aussi avec des projets fondés sur une approche bottom-up tels que le service E-Ordonnance Suisse. Comment prenez-vous actuellement le pouls de vos membres en ce qui concerne la numérisation et quel rôle jouez-vous avec vos organisations pour parvenir à un système de santé plus numérique?
Yvonne Gilli: Les associations professionnelles et cantonales sont très proches de leurs membres et connaissent bien les défis auxquels ces derniers sont confrontés. La FMH, par l’intermédiaire de ses délégués, recueille donc les besoins de ses membres pour bien représenter leurs intérêts au niveau national. Nous nous impliquons activement dans la législation nationale et contribuons à façonner la numérisation pour qu’elle apporte une valeur ajoutée à chacune et chacun d’entre nous. Les médecins apprécient beaucoup les outils numériques qui fonctionnent bien et ils les utilisent au quotidien. Mais ils sont malheureusement souvent confrontés à des systèmes informatiques de cliniques et de cabinets peu performants. Ils sont dépendants de leur fournisseur ou de réglementations inappropriées.
Martine Ruggli: La numérisation n’est pas une nouveauté non plus pour les pharmacies. Ces dernières ont déjà adapté leurs processus, par exemple avec des robots pour la gestion des stocks. Mais les processus numériques ont pris une importance considérable ces dernières années, notamment depuis la pandémie. Ils sont absolument déterminants pour l’avenir des soins pharmaceutiques. pharmaSuisse et la FMH ont travaillé ensemble sur l’initiative E-Ordonnance Suisse. L’objectif est de disposer d’une solution efficace aussi bien pour les prestataires que pour les patientes et patients. Mais nous souhaitons aussi uniformiser et établir un standard fiable pour éviter de nous perdre dans le dédale de multiples solutions et portails différents.
Avec le service E-Ordonnance Suisse, nous souhaitons établir un standard fiable pour éviter de nous perdre dans le dédale de solutions multiples et portails différents.
Quelle est selon vous l’importance du projet E-Ordonnance Suisse pour la numérisation du système de santé suisse et qu’en attendez-vous?
Martine Ruggli: Le lancement de l’ordonnance électronique est une étape essentielle de la numérisation du système de santé non seulement pour les prestataires, mais aussi et surtout pour les patientes et patients. Les données et les informations doivent être transportées de A à B dans un format bien structuré. Une ordonnance électronique sûre et conforme à la protection des données, facile à utiliser pour les patientes et patients et les prestataires, peut créer une importante valeur ajoutée. D’une part, cela permet d’optimiser les processus et, d’autre part, les patientes et patients ont accès à tout moment à leur ordonnance. Les ordonnances électroniques peuvent être facilement contrôlées. Elles sont moins sujettes aux erreurs, infalsifiables et protégées contre la copie.
Yvonne Gilli: L’ordonnance électronique est une solution judicieuse et adaptée à notre époque. En tant que prestataires, nous pouvons mettre à profit nos connaissances et proposer des solutions fiables. Ceci est très important vu la fréquence à laquelle un médecin délivre des ordonnances. Nous nous engageons donc en faveur de l’ordonnance électronique en collaboration avec HIN et pharmaSuisse. L’ordonnance électronique doit être intégrée de manière pragmatique dans le logiciel primaire et être utilisable dans toutes les pharmacies. Selon nous, il s’agit d’un projet phare car elle rend un service important à nos médecins et montre clairement que l’expertise du cabinet est indispensable pour une mise en œuvre couronnée de succès.
Quels sont les autres projets qui, pour vous, constituent des étapes essentielles pour la numérisation du système de santé suisse, maintenant et dans un proche avenir?
Yvonne Gilli: Le besoin de développement est très important car la communication électronique est encore fragmentée et trop peu standardisée. Les médecins s’intéressent aux sciences naturelles et sont très ouverts à la numérisation. Mais s’ils doivent travailler avec des logiciels trop anciens, cela entraîne exactement le contraire de ce que l’on attend de la numérisation, à savoir une augmentation des tâches administratives. Des progrès ne pourront être réalisés qu’en étroite collaboration avec les utilisateurs, c’est-à-dire avec le corps médical. Cela sera également crucial pour le succès des grands projets de la Confédération tels que Digisanté ou la loi fédérale sur le dossier électronique du patient (LDEP).
Martine Ruggli: Le DEP a été l’un des projets phares de la Confédération ces dernières années. Malheureusement, nous constatons actuellement que le résultat ne correspond pas aux attentes. C’est très regrettable, voire quasiment scandaleux, pour un système de santé de grande qualité. Nous nous focalisons donc davantage sur des projets tels que la médication électronique et le certificat de vaccination électronique. Nous entretenons des liens étroits avec Digisanté, les autorités (OFSP) et d’autres parties prenantes pour faire avancer de tels projets numériques. En tant qu’organisation, nous nous nous efforçons de soutenir activement nos membres. Nous souhaitons mettre en réseau notre plateforme votre-pharmacie.ch de manière ciblée avec les principaux fournisseurs du marché. Notre localisateur de pharmacies est déjà utilisé avec le service E-Ordonnance Suisse.
Maîtriser le virage ambulatoire, la réduction des tâches administratives et la pénurie de personnel qualifié requiert des outils numériques qui fonctionnent bien.
La FMH est l’actionnaire principal de HIN. Cette année, pharmaSuisse est aussi devenue actionnaire de HIN. Quelle est l’importance de HIN pour votre organisation?
Yvonne Gilli: Dans le système de santé suisse, HIN est synonyme de communication sécurisée et cryptée – et c’est une condition indispensable pour la qualité et la sécurité des soins de santé à l’ère du numérique. D’un point de vue historique, notre participation dans la société HIN est due au fait que les médecins ont développé eux-mêmes de nombreux programmes au début de la numérisation. Actuellement, cette participation nous permet de contribuer activement à la transformation numérique.
Martine Ruggli: HIN est très bien établie auprès des médecins. Nombre d’entre eux disposent d’une identité électronique HIN. HIN était donc le partenaire idéal pour le développement du service E-Ordonnance Suisse. Cela était crucial pour le succès du projet, car si les médecins ne délivrent pas d’ordonnances électroniques, il ne sert à rien que les pharmacies soient en mesure de traiter des ordonnances électroniques. Notre partenariat fructueux avec HIN nous a permis d’intégrer les besoins des pharmacies pour que la mise en œuvre du service E-Ordonnance Suisse soit la plus efficace possible, aussi bien pour le corps médical que pour les pharmacies. Ensemble, nous pouvons jouer un rôle clé dans la numérisation des prestataires du système de santé.
Pour finir, quelles sont vos stratégies et vos souhaits pour la nouvelle année?
Martine Ruggli: Je souhaite que le service E-Ordonnance Suisse dans le système de santé inspire de nouveaux projets pour favoriser l’interprofessionnalité également entre d’autres professions. Les défis du système de santé sont importants, et il est donc indispensable que les prestataires travaillent beaucoup plus ensemble. En tant que présidente de la Société Suisse des Pharmaciens, je souhaite aux pharmaciennes et pharmaciens et à leurs équipes de pouvoir exercer leur métier dans les meilleures conditions et avec les ressources nécessaires pour continuer à offrir un service de grande qualité.
Yvonne Gilli: Cet automne, la Chambre médicale a approuvé la stratégie de la FMH pour les quatre prochaines années. Trois thèmes prioritaires en font partie: virage ambulatoire, réduction des tâches administratives et pénurie de personnel qualifié. Dans ces domaines, la numérisation jouera un rôle central en termes d’attractivité des professions concernées. L’introduction prochaine de l’ordonnance électronique est tout aussi importante que le suivi de la réforme des tarifs ambulatoires pour permettre aux médecins de travailler avec des tarifs équitables et adaptés à notre époque.
Yvonne Gilli
Yvonne Gilli, dr méd., est présidente de la FMH, la Fédération des médecins suisses, depuis 2021. De 2016 à 2020, elle a été membre du Comité central de la FMH et responsable du dossier «Numérisation». Spécialiste en médecine interne générale, ancienne conseillère nationale et membre du Conseil cantonal de Saint-Gall, elle s’engage en faveur d’un système de santé orienté vers l’avenir. Ses priorités sont la promotion de la qualité des soins médicaux, la numérisation et la garantie de conditions-cadres qui préservent durablement l’attractivité des professions médicales.
Martine Ruggli
Martine Ruggli est présidente de pharmaSuisse, la Société Suisse des Pharmaciens, depuis 2021. Elle a été élue à la direction de pharmaSuisse en 2012 et a dirigé notamment le département Collaboration interprofessionnelle, puis les départements Innovation et Affaires internationales. Pharmacienne et spécialiste du système de santé, elle s’engage en faveur de l’élargissement de la mission des pharmacies dans les soins de base et de la promotion des services pharmaceutiques. Son objectif est de développer le rôle des pharmacies dans les soins intégrés pour pouvoir contribuer à la modernisation du système de santé.